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« La gueule de l’emploi » : un document choc sur le recrutement

PREVENUS ET CONSENTANTS

A aucun moment, dit-il, les acteurs de la session n’ont modifié ou interrompu le fil des événements à cause de la présence des quatre caméras qui les filmaient sans discontinuer. « L’enjeu de l’embauche était en effet supérieur à celui du tournage », commente-t-il, « alors que tous les participants étaient prévenus et consentants ».

Ce n’est qu’après la diffusion du film sur RTBF, la chaîne belge francophone, le 19 septembre, et au vu des commentaires dans la presse et sur Internet, que RST et le GAN ont réalisé l’impact réel du film, rapporte Didier Cros. « Ils ont même pensé que j’avais manipulé les images. Mais lorsque je leur ai alors projeté le film, avant la diffusion sur France 2, ils ont été… rassurés ! »

Ce qui laisse rêveur sur le degré d’intériorisation de pratiques et de comportements qui, dans un autre contexte que celui du recrutement et, hélas, de l’activité professionnelle, seraient jugés inacceptables par les intéressés eux-mêmes !

La diffusion de ce documentaire a en tous cas déjà causé une certaine ébullition dans le milieu du recrutement (cf le site d’Alain Gavand, qui dirige le cabinet du même nom et a lancé l’association « A compétences égales », dont l’objectif est d’améliorer les pratiques de la profession en particulier contre la discrimination). « Il est assez scandaleux de voir les concurrents de RST se déchaîner contre ce cabinet, alors qu’ils participent de la même façon au processus décrit dans le film », remarque Didier Cros.

REVISER LES PROCEDURES D’EMBAUCHE

La réaction la plus saine ne serait-elle pas plutôt, de la part des directions de ressources humaines qui, comme celle du GAN, procèdent à des centaines, voire des milliers de recrutements par an, de réviser totalement leurs procédures d’embauche, et de s’interroger également sur la généralisation, consciente ou non, de pratiques manageriales qui minent la confiance et l’engagement des salariés et, en définitive, l’image et la performance de l’entreprise ?

Le blog Entreprises & Emploi souhaite ouvrir un débat le plus large possible sur les pratiques de recrutement. Réagissez au film, témoignez sur les pratiques de recrutement, en tant que candidat, salarié ou professionnel des ressources humaines.

Lire la critique parue dans « Le Monde Radio-Télévision » du 6 octobre.

Dans les coulisses cruelles d’une session de recrutement

La comédie de la cruauté du travail » : c’est ainsi que Didier Cros résume la session de recrutement collectif qui lui a fourni la matière de son (remarquable) film documentaire. Cette comédie-là (ou plutôt son premier acte, que le réalisateur appelle « la mécanique de l’embauche » et – déjà – « du conditionnement ») se joue habituellement à l’abri des regards. Il est vrai que ses ressorts ne sont pas du plus haut comique.

DIVISER, DÉSTABILISER, PARFOIS HUMILIER

D’un côté de la table, les membres du cabinet de recrutement et des représentants de la direction de l’entreprise ; en l’espèce, une grande compagnie d’assurances qui souhaite embaucher des commerciaux. Face à eux, dix candidats à un poste dont ils ne connaissent ni les contours précis ni la rémunération.

Les recruteurs s’enorgueillissent de ne pas avoir pris connaissance des CV des postulants. Ce qui est une manière de laisser sa chance à chacun mais, surtout, d’accentuer la pression sur les candidats. Parce que le poste requiert « combativité » et « sociabilité », ainsi qu’une « grande tolérance au stress, à la pression et à la frustration », les tests, menés deux jours durant, ne visent pas à évaluer leurs compétences, mais leur profil et leur personnalité. Tout est fait pour les diviser, les déstabiliser, parfois les humilier, dans un processus d’élimination qui rappelle « Le maillon faible ».

Chacun s’y soumet, à des degrés divers, tout en essayant vaille que vaille de préserver un minimum de dignité. La variété des réactions, reflet de la diversité des caractères, est passionnante à observer. Jusqu’où peut-on et doit-on aller pour décrocher un emploi ? Telle est la principale question que pose ce film. Etant entendu que la marge d’appréciation est inversement proportionnelle aux tensions existant sur le marché du travail…

Tout au long de la session, Hervé a affiché une désinvolture qui l’a préservé des méthodes employées… mais aussi de l’emploi escompté. « La liberté, ça n’a pas de prix, explique-t-il ultérieurement. C’est pour ça que je suis bien pauvre. Ça vaut tout l’or du monde, sauf que ça ne rapporte rien. » L’épilogue du documentaire montre qu’ici la contrainte et la soumission n’ont pas rapporté grand-chose à grand monde.

Jean-Baptiste de Montvalon

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